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Les coutumes de Prayssas.

Les coutumes de Prayssas.

Donc, un village organisé très tôt, forme arrondie, remparts, portes sous la protection des coseigneurs de Prayssas, seigneurs qui ont dressé, en 1266, les règles de vie de la communauté : « La grande coutume ». Et c’est miracle que ce document soit parvenu jusqu’à nous, déposé par M. Moullié, historien, en 1859 aux archives départementales de Lot-et-Garonne.

Elle a été rédigée par les seigneurs de Prayssas : Gauthier de Prayssas ; Guillaume Arnald ;  Guiraud de Bos ; Aymeric de Prayssas ; Pons de Prayssas ; Amanieu de Prayssas ; Guiraud Tiso et Gasbert de Prayssas. ; et signée par ces derniers et les parçonniers, agissant pour toute la communauté de Prayssas.

C’est un petit volume in-4°, relié en bois et recouvert d’un cuir brun, qui a pu être rouge à l’origine. Les feuillets sont tous en parchemin et l’écriture est disposée sur deux colonnes. La première lettre de chaque rubrique est ordinairement une grande initiale colorée en rouge. L’écriture parait être du quatorzième siècle.

Le document déposé aux archives départementales est rédigé en langue d’oc. C’est une transcription de l’original rédigée en 1349. M. Moulliez en a donné, en 1860, une version en occitan largement commentée, incluse dans le site. L’abbé Fonda a procédé à une traduction en français vers 1950, qui fait toujours autorité à ce jour.

Elle nous apporte des éléments essentiels de l’organisation sociale. Sans méconnaître la prééminence de seigneurs, elle montre combien les règles de vie de la communauté, règles de bon sens, empreintes de sagesse, préfigurent l’organisation sociétale moderne : Droit à une justice équitable pour tous, consécration de la propriété individuelle, règles pour commercer, d’abord entre les gens du village, ensuite avec l’extérieur. A l’issue des 40 articles de la coutume, les seigneurs et les parçonniers s’engagent par un texte solennel offrant, par-dessus le temps et les hommes, l’espérance d’une vie en société paisible et équilibrée.

Pierre Simon, dans un article publié dans l’ouvrage « Prayssas » sous l’égide de l’Académie des sciences, lettres et arts d’Agen nous en fait une analyse historique complète :

« Nous avons la chance de disposer de deux textes relatifs aux coutumes de Prayssas (42) : le plus ancien, dit « grande coutume » date du 7 juin 1266 et compte 40 articles. Il s’agit au début d’un accord entre les parseners du lieu (43), ils sont les seuls nommés dans le préambule. Ce type de document n’existe pas ailleurs en Agenais (44). Mais l’article final met d’un côté les chevaliers, seigneurs de Prayssas, qui ne sont d’ailleurs pas exactement les mêmes que ceux du préambule, et de l’autre 48 habitants dont certains sont qualifiés de consuls bien que nul article dans les coutumes n’accorde d’organisation municipale. Les deux parties approuvent l’accord et reçoivent chacune copie de la charte. Il s’agit manifestement d’un texte composite, les deux parties extrêmes du texte ne sont pas écrites dans la même logique. L’analyse de la forme des différents articles conduit à proposer d’identifier des éléments de périodes différentes :

* les articles 1 à 5 font mention d’un accord entre les seigneurs (aprob establiren) sur la clôture par chacun de sa partie de bourg, sur une solidarité de principe, sur la venue et l’établissement des caslans. On peut supposer que les 5 premiers articles sont les éléments de base établis à la suite d’une succession et probablement de la construction ou de difficultés pour l’entretien ou même de l’agrandissement de l’enceinte liée à une extension du bourg et que les articles qui suivent ces 5 premiers sont la reprise d’accords ou du moins d’usages antérieurs. Plus loin dans le texte, la notion d’accord entre les seigneurs se retrouve aux articles 11, 22 et 29 (45)

* les autres articles font référence en leur début soit à la coutume du lieu : la costuma del castel es aitals (articles 6 à 10, 16 à 39), soit à des « établissements » progressivement élaborés : establit es (articles 12 à 15) ; ils concernent des éléments qui ont dû être négociés progressivement entre les seigneurs et les caslans ;

* le dernier article commence par la double référence /49 castel de Preicha ab aquest establiments e ab aquestas costumas et fait mention de l’hommage au comte de Poitiers et de l’acapte que doivent les seigneurs. Habituellement on ne trouve pas cette référence dans les autres coutumes seigneuriales (46). Il se pourrait bien qu’il s’agisse d’un écho de la tentative des seigneurs de faire payer ces acaptes par les caslans d’autant que la coutume de 1276 accorde le partage de ces acaptes entre les seigneurs et les caslans.

Il est donc probable que le début de la grande coutume soit constitué d’un accord antérieur à celui de la fin de ce texte. Probablement pas trop antérieur car on y trouve des préoccupations de reconstruction qui datent du milieu du XIIIe siècle. En 1266, à l’occasion d’une négociation entre les seigneurs et les caslans, un notaire a récapitulé l’ensemble des accords qui régissaient le fonctionnement du bourg, partant d’un texte qui avait été conclu entre les coseigneurs, intégrant des « établissements » locaux et gardant pour la partie finale les éléments propres à la négociation du printemps 1266. Il a organisé le tout dans la logique des chartes de coutumes qui se multipliaient alors en Agenais, sur le modèle du contenu des coutumes d’Agen pour la partie non spécifique aux accords des seigneurs et des habitants de Prayssas. C’est la dernière partie qui est l’élément nouveau de 1266 et c’est d’ailleurs à cet endroit que se trouve la date.

Cette grande coutume établit donc d’abord la solidarité entre les nombreux seigneurs mais lie aussi les caslans aux seigneurs : dans le partage de la garde (article 6) : aux seigneurs, les tours, aux caslans, les portes ; dans le conseil (article 11) : avant tout acte militaire, les chevaliers doivent consulter les caslans; dans la solidarité contre l’extérieur (article 28) : en cas d’agression d’un chevalier, d’un damoiseau ou d’un caslan, tous les seigneurs et tous les caslans doivent l’aider.

On y voit également un bourg qui se développe puisqu’il est question par trois fois de l’établissement de nouveaux caslans (articles 4, 5 et 15) mais on réglemente aussi les tavernes, les boulangères, les bouchers, le portier, les fours (articles 14, 19, 20, 21, 35). On sent la pression des hommes qui veulent venir ou qui sont espérés, faut-il y voir la concurrence des bastides ? A notre avis, cette première partie date d’une période qui doit être proche des premières bastides en Agenais. La croissance est attestée par les listes des caslans mentionnés : 49 en 1266, 71 en 1276 !

On devine aussi des seigneurs, du moins dans la deuxième partie du texte, qui veulent s’assurer des privilèges que leur situation difficile rend nécessaires : leurs armes sont protégées de saisie (article 22), les seigneurs ont le droit de payer avec un différé de huit jours la nourriture pour leur « ostel » (leur demeure et non leur hostellerie comme le traduit l’abbé Fonda mais le terme ostel, vérifié sur la copie conservée aux archives départementales, dénote une mauvaise connaissance de la langue locale qui parle toujours d’ ostal (article 34).

En 1276, la « petite coutume » comporte 9 articles supplémentaires, beaucoup plus homogènes. Ils confirment d’abord l’ancienne coutume mais ajoutent les modalités de l’élection des consuls où les seigneurs du lieu sont parties prenante du conseil puisqu’ils ont 2 des 6 consuls (article 2) et décrivent leurs pouvoirs, en particulier celui de faire des établissements en accord avec le baile (article 9).

Il s’agit d’un accord entre les seigneurs et les habitants. Cela apparaît dans l’introduction initiale de l’acte qui identifie nettement qui appartient au groupe des seigneurs et qui appartient au groupe des caslans et dans la conclusion qui précise que le notaire a été apelats et pre-guats dels senhors et de totz los autres proshomes caslas del mehis castel. Les amendes sont désormais partagées en 2 parties égales entre les seigneurs et les consuls (article 4). Les seigneurs et le baile doivent juger avec les consuls (article 5). Seigneurs et caslans doivent être jugés sans privilèges (articles 3 et 8). De plus, les habitants du castrum acceptent de payer la moitié des acaptes dues par les seigneurs de Prayssas (article 6) au changement de seigneur de l’Agenais. Il faut peut-être y voir la reconnaissance d’une sorte de coseigneurie mais aussi une concession des bourgeois pour obtenir l’acceptation officielle de leur organisation municipale antérieure.

Cependant, ce deuxième accord, comme le premier, n’affranchit pas les caslans des différentes taxes auxquelles ils pouvaient être soumis, il fixe simplement leur montant et le principe du respect du droit (47). De même, on ne voit pas, ce qui est pourtant très fréquent dans les coutumes en Agenais, aussi bien la fixation d’un marché et d’une foire que l’engagement des seigneurs de prêter serment en premier de respecter la coutume et les droits des caslans. Il faut probablement en déduire que les bourgeois de Prayssas restaient encore fortement sous la dépendance des seigneurs. ».

L’ouvrage : « Les personnages de Prayssas » contient la version en français de l’abbé Fonda disponible sur le site.