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La boucherie.

LA BOUCHERIE A PRAYSSAS (1266 – 1790)

(Daniel CHRISTIAENS, de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Agen.)

I – UNE ADJUDICATION ANACHRONIQUE EN 1790.

Dans les grandes cités médiévales, les bouchers formaient une corporation puissante. Celle de Paris prétendait remonter directement aux boarii romains de Lutèce ; à Limoges, elle alléguait des titres remontant à 931. Mais à la différence des centres urbains majeurs, les bourgs modestes ne pouvaient faire vivre plusieurs bouchers. Cette fonction était alors un monopole concédé au plus offrant pour une période annuelle généralement.

A Prayssas, en ce 12 mars 1790, comme l’an passé – mais on était alors sous l’Ancien Régime – le procureur-sindic de la communauté prépare, à son habitude, l’affermage de la boucherie pour aine période qui court de Pâques à Pâques (cette définition de l’année civile remonte au Moyen Age) ; plus exactement de Pâques au Carême suivant, l’autorité civile faisant encore respecter l’abstinence de viande édictée par l’Eglise.

NOUS Jean Grimard procureur sindic de la présente communauté de Preyssas, requérons que la boucherie de cette dite communauté soit affermée et que pour en retirer un prix de ferme plus considérable, il sera préalablement apposé des af(f)iches en différents endroits, pour en annoncer la ferme, qui ne sera que pour l’espace d’une année, à commencer aux fettes de Pâques de cette année, et pour fini le quatrième dimanche avant celles de 1791.

Car par privilège, la communauté profite du droit de boucherie ; c’est-à-dire que le produit de l’adjudication lui revient, – en partie comme on verra – et constitue une ressource importante de son budget. Ceci n’est pas toujours le cas et les situations sont fort variables d’un lieu à l’autre. Ainsi à Castelmoron le droit est-il tout entier perçu par le marquis. Dans tous les cas, le preneur doit fournir une caution suffisante couvrant le prix du fermage, comme le rappelle Grimard :

LE PRENEUR de ladite boucherie sera obligé de donner et fournir bonne et suffisante caution du prix dudit ferme, de même que de l’entretien de la bonne qualité de la viande, que ladite boucherie devra être entretenue, et qu’ils s’obligeront conjointement et solidairement à tous les articles des numéros mentionnés en l’état des califications qui sera transcrit à suite de notre présent réquisitoire; et que pour procéder à la réception des offres des enchères de même qu’à l’adjudication dudit bail, le tout sera fait par-devant les membres composant le bureau de cette présente municipalité.

CE fait avons signé notre présent réquisitoire audit Preyssas et dans la maison commune d’icelle, ce jourdhuy douzième mars mille sept cens quatre vingt-dix. GRIMARD p. sindic.

Mettait-on un local public et fixe à la disposition du boucher ? Ceci n’est pas explicitement mentionné dans le réquisitoire de Grimard. On connaît la localisation de la boucherie de Clairac, proche de la maison de ville. En était-il de même ici ? Le cahier des charges de l’adjudication – les qualifications en termes de l’époque – n’est pas clair à ce sujet :

CONDITIONS ET QUALIFICATIONS DE LA BOUCHERIE DE PREYSSAS

N° 1 : Le ferme de la boucherie commencera aux feues de Pâques de cette année et finira le quatrième dimanche avant celles de 1791.

N° 2 : Ne pourra être débité dans lad. boucherie que boeufs, veaux, moutons et agneaux et après que la taxe en aura été faite par MM. les officiers municipaux, suivant la bonté et qualité de la viande, dans laquelle ne pourra être mis les mâchoires et dents des veaux.

N° 3 : Ne pourra être vendu des vaches, brebis et cochons, à peine de confiscation et de dix livres d’amende, que d’un consentement par écrit de la part desdits. sieurs officiers municipaux.

N° 4 : Ladite boucherie sera entretenue de la manière qu’il est dit au n° 2. Et dans le cas que les jours de dimanche, fêtes, ou foires, ladite boucherie ne fût pas garnie des veaux, sera payé par manière de dédommagement par le boucher la somme de dix livres, outre qu’il ne fût constaté qu’il ne se trouve pas des veaux et que la vérité de ce fait aura été reconnue par lesdits sieurs officiers municipaux.

N° 5 : Il n’y aura qu’un seul boucher dans toute l’étendue de la présente communauté, sans à ce rien couvrir; nover ni préjudicier aux droits de Mr le Comte de Sensac, seigneur de la présente communauté pour raison du droit de boucherie, à peine contre chaque contrevenant de confiscation de la viande qui se trouvera chez le particulier qui se trouvera en contravention, et en outre de dix livres d’amande, le tout applicable aux usages que lesd. Srs officiers municipaux trouveront à propos.

N° 6 : Lad. boucherie pourra être cédée en tout ou en partie par le preneur; même la permission du débit de la viande, sans qu’à raison de ce il puisse être porté aucun obstacle aux N° s 2 et 4 ci-avant mentionnés, et qui seront exécutés selon leur forme et teneur.

N° 7 : Le prix de l’adjudication de la boucherie, à quelle somme qu’il puisse se monter, sera payé la moitié à la Saint-Mathieu et l’autre le jour des Cendres.

N° 8 : Sera donné et fourni bonne et suffisante caution, tant pour le prix de la ferme de ladite boucherie, que pour l’entretien et bonne qualité de la viande qui sera débitée dans icelle.

N° 9 : Sera tenu chaque adjudicataire de signer son enchère, s’il sait, et se soumettre aux conditions de la présente qualification.

N° 10 : Tous les frais généralement quelconques pour parvenir au bail du ferme de lad. boucherie, ainsy que les fraix d’iceluy, sont et demeurent à la charge dudit preneur. En foy de quoy avons signé ces présentes à Preyssas ce douzième mars mille sept cens quatre vingt-dix. GRIMARD procureur-sindic.

Le fonctionnement de la boucherie appelle plusieurs commentaires :

1°) Les prix ne sont pas librement fixés par le boucher ; il doit respecter la taxation imposée par les officiers municipaux et avant eux par les consuls.

2°) Le boucher ne peut vendre que quatre sortes de viandes : boeufs, veaux, moutons et agneaux à l’exclusion des vaches, brebis et cochons. Cette limitation a peut-être une justification sanitaire.

3°) Pour l’histoire des moeurs et de l’alimentation, on notera la prédilection de la viande de veau, pour garnir la table des dimanches, usage suivi évidemment chez les familles aisées.

4°) Il est extraordinaire de constater que plus de sept mois après la nuit du 4 août, la communauté s’applique à réserver au seigneur des droits abolis : Il n’y aura qu’un seul boucher dans toute l’étendue de la présente communauté, sans à ce rien couvrir, nover ni préjudicier aux droits de Mr le Comte de Sensac, seigneur de la présente communauté pour raison du droit de boucherie.

Or les droits seigneuriaux consistaient en la moitié du revenu de la boucherie suivant un partage à égalité avec la communauté, évoqué dans la transaction passée entre le marquis de Sonneville et les habitants en 1734, transaction renouvelant un accord de 1626, lui-même fondé sur la Coutume.

Transaction de 1734 : Sur quoy tous d’une commune voix et sans aucune contradiction de personne ont délibéré de reconnoître lesdits Seigneur et Dame de Sonneville pour Seigneur et Dame de la présente baronnie de Praissas, avec toutte la justice, haute, moyenne et basse, moytié de la boucherie, et qu’à l’égard de la polisse, elle sera [faite par] les Srs conseuls ainsy que les dites boucheries et polisse ont esté réglés par une tranxaction passée entre le Seigneur de Monlesun lors seigneur du présant lieu de Praissas et les conseuls et habitans dudit Praissas le vingt-deusième mars, mil six cents vingt-six, par-devant De Martin notaire royal, homologuée au Sénéchal d’Agen le vingt-sep-tième juin de lad année mil six cents vingt-six.

Transaction de 1626 : a esté convenu et accordé que ledit droit [sera pré-sent]é à afferme annuellemant conjointemant par ledit [seigneur] ou procureur d’office aveq lesdits consuls au plus [haut et dernier] enchérisseur & le prix de l’afferme qui en proviendra sera [partagé] par moytié audit seigneur ou à ses fermiers et l’autre moytié aux consuls, o la charge que lesditq consuls seront tenus employer ladite [somme en f]t-ès publicqs.

II – LA GRANDE COUTUME DE PRAYSSAS

Nous allons montrer que l’accord de 1626 n’est qu’une mise au point d’un principe contenu à l’article 8 de la Grande Coutume de Prayssas (1266), où quelques termes sont à élucider avant de proposer une traduction.

8. DE MALCU DEL SENHORS E DES CASLAS

La costuma del castel es aitals que ls seinhors an malcu, e ls cas-las, de vi entro que la taverna sia venduda am bo penhs o am bona fer-mansa; en pa, en carn, e en sivada an malcu los senhors am bo peuhs que bailhon que valha mais lo terd dîner, o am bona fermensa, que 1 pague dins 1 mes ;

Le malcu – terme unique et propre à Prayssas ! – est ainsi défini par Me Moullié, le premier éditeur des coutumes : « droit levé sur la vente des objets de consommation ; il résulte de l’article lui-même que c’était une sorte de patente … Il semble résulter de ce passage que ce droit profitait aussi aux habitants. »

Les textes de 1790, de 1734 et de 1626 ensemble confrontés, dissipent l’hésitation de Me Moullié ; le malcu – du latin macellum, marché – est le prix payé par l’adjudicataire pour emporter le monopole de telle ou telle marchandise : le vin – débité en taverne – le pain, la viande et l’avoine.

Ce droit est commun dès le XIII°siècle, époque de la coutume, c’est-à-dire que le marchand doit le payer moitié au seigneur et moitié aux consuls. Mais les conditions de payement qu’offre chacune de ces autorités diffèrent. La patente seigneuriale est exigible dans le délai d’un mois après l’adjudication, moyennant dépôt d’un gage matériel valant plus du tiers du prix – le tiers denier – ou présentation d’une caution fiable. On présume que la patente « municipale » est exigible sans délai donc sans gage, sauf sur le vin, pour lequel le seigneur comme le communauté exigent une sûreté proportionnée à la valeur de la taverne, local mis à disposition du cabaretier. Tel est le contenu de l’article 8 traduit ci-dessous :

La coutume de la ville est telle que les seigneurs partagent le droit de patente avec les habitants : sur le vin (pourvu que la taverne soit adjugée contre bon gage ou bonne caution), sur le pain, la viande et l’avoine. Les seigneurs prennent leur droit de patente exigible sous un mois contre gage suffisant – valant plus que le tiers denier – ou avec caution suffisante.

L’article 8 est confirmé et précisé par l’article 20 de la même Grande Coutume, propre aux bouchers, à qui les seigneurs doivent laisser un mois de délai, alors que la communauté exige un versement immédiat dans sa caisse :

De Maseller / Du boucher

Li mazeller an aital costuma que devo guanhar (paguar ?) los caps-sols am los senhors a espera de I mes e ab los caslas que ades paguan. Les bouchers ont telle coutume qu’ils doivent payer leur prix avec les seigneurs dans l’intervalle d’un mois, mais qu’il doivent le payer comptant avec la communauté.

Comprenons que la communauté encaissait immédiatement la moitié du prix de l’adjudication et que le seigneur devait attendre un mois pour recevoir l’autre moitié. On conçoit que les bourgeois de Prayssas aient tenu à inscrire en clair cet avantage dans la coutume.

Le partage de la boucherie dura jusqu’à la Révolution et par chance, la routine du procureur-syndic Grimard, nous permet d’assister à la dernière fois où dans l’histoire de Prayssas la communauté des habitants exerça son privilège à coté du baron, suivant des formalités sans cela inconnues. Voici cette « dernière séance » d’adjudication de la boucherie.

III – LA DERNIERE ADJUDICATION DE LA BOUCHERIE

Nous allons suivre le déroulement des enchère, sur trois dimanches successifs comme le voulait la tradition. A cette fin le procès-verbal a été scindé par phase et muni d’un intitulé explicatif qui dispense de toute paraphrase.

[12 mars 1790 – Fixation des enchères sur trois dimanches successifs]

NOUS soussignés composant le bureau de la municipalité de Preyssas, étant audit Preyssas, et dans la maison commune d’icelle, ce jourd’huy douzième mars mille sept cens quatre vingt-dix, écrivant le secrétaire greffier ordinaire d’icelle, veu le réquisitoire du Sieur Grimard procureur-sindic d’icelle, concernant la ferme de la boucherie dud. Preyssas, ainsy que l’état des califications des conditions de l’entretien de lad. boucherie, le tout dacté de ce jour, ordonnons que tant led. réquisitoire que dit état des califications, le tout sortira son plein et entier effet, et qu’en conséquence les premières enchères s’ouvriront dimanche quatorzième du présent mois, à dix heures du matin, la seconde le dimanche suivant et la troisième et dernière portant délivrance se fera le vingt-huitième dudit présent mois à l’heure portée par les affiches qui ont été mises en différents endroits. Et avons signé avec notre dit secrétaire greffier.

GOUGET maire – ANCEZE officier – GAUCHE secrétaire-greffier.

[Séance du 14 mars – Dugros seul enchérisseur]

PAR-DEVANT NOUS soussignés, écrivant comme dessus, ce jour-d’hui quatorzième mars mille sept cens quatre vingt-dix, à dix heures du matin, avons fait procéder à la première ouverture des enchères de la boucherie de la présente municipalité qui a été annoncée par notre mandataire ordinaire. Sur quoy si est présenté Dugros de ce lieu, qui a fait sa soumission pour la somme de cent livres et l’a signée. Et attendu que l’heure de dix heures du matin de ce dit jour est passée, même celle de midy, sans que personne se soit présenté pour couvrir l’enchère dud. Dugros, luy en avons concédé acte et ordonné que la continuation des enchères de ladite boucherie se feront conformément à ce qui est porté en notre précédent procès-verbal du douze de ced. mois. Et avons signé comme dessus.

GOUGET maire – ANCEZE officier – GAUCHE secrétaire-greffier.

[Séance du 21 mars : sans enchérisseur]

PAR-DEVANT NOUS soussignés, écrivant comme dessus, ce jour-d’hui vingt-unième mars mille sept cens quatre vingt-dix, à dix heures du matin, avons procédé à la seconde ouverture des enchères du ferme de la boucherie de la présente communauté qui ont commencé de s’ouvrir à dix heures du matin de ced. jour après avoir été annoncées par notre mandataire ordinaire, où nous avons tenu la séance jusques à celle de midy sans que personne se soit présenté pour faire aucune offre, ny pour couvrir l’enchère dont notre précédent verbail fait mention. Attendu quoy avons remis pour la délivrance de ladite boucherie à dimanche prochain comme il est porté par lesd. affiches. Et avons signé avec notre dit secrétaire-greffier.

GOUGET maire – ANCEZE officier – GAUCHE secrétaire-greffier.

[Séance du 28 mars : Tarenque emporte l’enchère à 135 livres]

PAR-DEVANT Nous François Gouget et Jean Ancèze composant le bureau de la présente municipalité de Preyssas, étant audit Preyssas, et dans la maison commune d’icelle, ce jourd’huy vingt-huitième mars mille sept cens quatre vingt-dix, écrivant comme dessus, avons procédé à la dernière séance pour la délivrance de la boucherie de cette dite communauté, que nous avons commencé à dix heures du matin de ced. jour, conformément à ce qui est porté par nos précédens verbaux, après avoir été annoncée par cri publiq, par notre mandataire où se sont trouvés nombre de particuliers présents et en présence desquels nous avons fait allumer un petit bout de bougie; pendant qu’elle brûloit Antoine Tarenque de ce lieu, a mis et porté le prix du ferme de lad. boucherie conformément aux califications, à la somme de cent vingt livres, et cou-vert l’enchère précédament faite par Antoine Dugros de vingt livres; le Sieur Duburga de ce même lieu a couvert l’enchère dud. Tarenque de la somme de dix livres, et led. Tarenque a couvert celle dud. Sieur Duburga de cinq livres. Et pendant l’intervalle que lad. bougie a resté allumée, personne plus ne s’y est présenté.

ATTENDU quoy, et que l’heure portée par lesd. affiches est passée, le ferme a resté audit Tarenque, pour la somme de cent trente-cinq livres, et que le bail luy en sera consenty ce jour. De quoy avons fait et dressé le présent verbal que nous avons signé avec ledit Tarenque et notre dit secrétaire-greffier.

GOUGET maire – ANCEZE officier – GAUCHE secrétaire-greffier.

[Dugros couvre l’offre de Tarenque par tiercement]

NOUS Jean Grimard procureur de la présente communauté de Preyssas, disons qu’ayant pris communication du ferme de la boucherie de cette dite communauté, en faveur d’Antoine Tarenque aîné, de ce lieu, pour la somme de cent trente-cinq livres, nous avons vu également une soumission faite par Antoine Dugros du même lieu, portant offre du tiercement sur lesd. cent trente-cinq livres offertes par led. Antoine Tarenque,

REQUERONS qu’attendu le bref délay qu’il y a pour arriver aux fettes de Pâques prochaines, pour que lad. boucherie puisse être garnie, il y a lieu à ne recevoir des offres pour le demy-tiercement que pour une heure seulement de ce dit jour, qui commencera à celle de trois de cette après-midy jusques à celle de quatre, et que ledit Tarenque sera mandé pour venir prendre communication de l’offre dudit. tiercement, et que lad. heure passée, requérons que la délivrance de ladite boucherie sera faite aud. Antoine Dugros, conformément aux califications, sans que ledit Tarenque ny autres puissent être reçus à offrir le demy-tiercement après lad. heure.

Ce fait, avons signé notre présent réquisitoire audit Preyssas et dans la maison commune de icelle, ce jourdhuy vingt-huitième mars mille • sept cent quatre vingt-dix, et avant lad. heure de trois de relevée de cedit jour. GRIMARD p. sindic.

[Tarenque est invité a surenchérir par demi-tiercement]

PAR-DEVANT Nous François Gouget et Jean Ancèze, membres comme susdit, et écrivant comme dessus, vu le réquisitoire de Sieur Jean Grimard, procureur de la présente communauté, ordonnons qu’il sera exécuté selon sa forme et teneur, et que pour qu’Antoine Tarenque de ce lieu puisse prendre communication de l’offre du tiercement qui a été faite sur son enchère par Antoine Dugros, nous l’avons mandé de se rendre dans la présente maison de ville.

[Tarenque renonce à offrir le demi-tiercement ; Dugros est reçu boucher]

OU étant arrivé, nous luy avons fait faire lecture par notre dit secrétaire-greffier du susd. tiercement, et fait crier par notre dit mandataire, que pour être reçu à offrir le demy-tiercement, on n’y seroit reçu que pendant le tem(p)s porté par le réquisitoire dud. Sr Grimard, et laquelle ouverture de séance pour recevoir led. demy-tiercemennt a commencé à l’heure de trois et a été tenue jusques à celle de quattre de cedit jour, sans que led. Tarenque ait offert de demy-tiercement, ny par un des assistants qui se sont trouvés présents à ladite présente séance, attendu quoy la délivrance du ferme de lad. boucherie a resté et demeure aud. Antoine Dugros habitant de ce lieu, à ce présent et acceptant, qui aura droit d’en jouir pendant l’espace d’une année, aux mêmes clauses, conditions, obligations et stipulations portées par les susd. califications, qui de son côté promet et s’oblige de les entretenir et exécuter de point en point selon leur forme et teneur et de la même manière qu’il y est mentionné.

[Dugros présente le Sr Bourdellier comme sa caution]

ET pour plus grande sécurité et solidité du payement du prix dudit ferme, que de l’entretien de lad. boucherie, ce faisant s’obligeant avec led. Dugros, l’un pour l’autre, un seul de deux seul pour le tout, aux renonciations de fait et de droit, de payer en seul led. prix du ferme, et d’entretenir lad. boucherie de la même manière qu’il est porté auxd. califications, dont du tout led. Bourdellier en fait son affaire propre et particulière, et ce aux peines de droit.

Ce fait avons fait et dressé le présent verbal de la délivrance de lad. boucherie ce jourdhuy vingt-huitième mars mille sept cens quatre vingt-dix, et après ladite heure de quatre de relevée de ce dit jour, après laquelle nous avons signé ledit présent verbal avec ledit Dugros, led. Bourdellié caution, et notre dit secrétaire-greffier.

GOUGET maire – ANCEZE officier municipal – DUGROS – BOURDELIE – GAUCHE secrétaire-greffier

Le déroulement de la procédure est parfaitement clair excepté sur le tiercement et demi-tiercement, termes à expliquer. Il faut supposer jusqu’à plus ample connaissance, qu’au départ chaque enchère est faite librement pour couvrir la précédente, sans contrainte de montant. A partir d’une certain seuil, le niveau de l’enchère est obligatoirement une fraction imposée de la mise initiale : c’est le tiercement, que l’on peut couvrir par le demi-tiercement.

Que vaut exactement le tiercement ? A défaut de trouver la définition dans un lexique, nous prenons l’explication dans les Coutumes du Nivernais de 1534 (édition 1610) au titre XX – 2 Et se mettent lesdits tiercement et doublement sur la première mise : c’est-à-dire que si la première mise est de dix livres, le tiercement sera de cent sols (c’est-à-dire 5 livres, à 20 sols la livre), et le doublement de dix livres.

On en déduit que mettre le tiercement multiplie la valeur de l’offre de référence par un facteur 3/2, (1 + 1/2) d’où cette dénomination. Il est à regretter que le procès-verbal n’ait pas consigné le prix final payé par Dugros ce qui aurait permis un contrôle.

IV – CONCLUSION

La Révolution, en mettant en oeuvre la doctrine libérale dans la sphère du travail et du commerce, supprima les corporations. Dans son affirmation de l’égalité des droits civils, elle fit table rase des privilèges ; or ceux-ci étaient de deux genres, les droits féodaux, apanage des nobles d’une part, et d’autre part divers profits ou exemptions bénéficiant aux communautés urbaines, conquis au cours des siècles contre leurs seigneurs, parfois de haute lutte.

A Prayssas la communauté avait obtenu de percevoir la moitié du droit de boucherie, situation non commune en Agenais. C’est pourquoi Grimard procureur-sindic, et Gouget maire, en adjugeant le droit de boucherie communale pour la Pâques de 1790, n’avaient sans doute pas l’impression ni l’intention de faire oeuvre contre-révolutionnaire. L’article 5 du cahier des charges utilisé, qui déclare qu’on n’empiétera pas sur les droits équivalents du comte de Sensac, prouve que l’on a utilisé le formulaire traditionnel, et probablement multi-séculaire, non revu ni corrigé après la nuit du 4 août, ce qui fait de ce document un inestimable complément à la Grande Coutume.

Dugros, boucher désigné à compter de Pâques 1790, utilisa-t-il longtemps son monopole ? On peut en douter car en 1793, appelé à remplacer le Sieur Lacoste, officier municipal décédé, il refusa, avançant qu’il ne pouvait prêter le serment de fidélité à la République. Il est bien possible qu’il ait eu à se plaindre du nouveau régime qui lui suscitait une concurrence jusque-là inconnue. Quant au comte de Sensac, qui avait perdu ses droits féodaux en plus de son droit de boucherie, il émigra en 1792.

Daniel CHRISTIAENS